samedi 4 mars 2017

La place de l'homme dans la nature



Ce que signifie «avoir les moyens» (au-delà du capitalisme-et pire encore)



La place de l'homme dans la nature

NATURE, voilà un mot si ordinaire que tout le monde semble s’accorder sur le sens qu’il lui est attribué. Et pourtant, que de contresens il contient, c’est ce que nous allons voir ici.

Nature : selon le dictionnaire Petit Robert 1, édition de 1987, rédigé par M. et Mme Rey, Nature prend divers sens. Nous retiendrons celui qui nous préoccupe ici, à savoir l’ensemble de tout ce qui existe en dehors de l’homme.

Le monde de la nature, selon la définition qu’en donne ce dictionnaire, ne se réduit donc pas à ce que l’on ressent comme beau, tel le plumage d’un oiseau exotique, la gueule d’un félin ou les protubérances d’une fleur, mais rassemble l’ensemble de tout ce qui existe en dehors de l’homme, comme les cailloux, les hiboux, les choux, par exemple.

L’usage courant détermine par nature, tout ce qui dépasse l’homme, dans le but le plus souvent inavoué, de rapetisser l’homme, de le comparer à l’immensité afin de le décourager dans son orgueil. En cela, l’usage courant défini le rapport de l’homme avec la nature d’un point de vue morale dans un rapport de force où l’homme n’est pas grand chose face à cette nature si puissante. Nous ne sommes donc plus dans la définition du Petit Robert, mais dans celle de l’Aigle de Meaux, ce partisan de l’absolutisme pour qui la providence, cet autre nom de la nature, est la limite au pouvoir du Roi, ou dans la définition de la morale Pascalienne d’un La Fontaine qui attribue au roseau la force dont se croyait pourvu le chêne.

D’une manière générale, nous définissons la nature par la contemplation. Nous lui attribuons un rapport esthétique qui nous la place au niveau de l’Art. Ce qui nous séduit dans la nature, c’est sa beauté apparente. Et, en effet, quoi de plus beau que la contemplation de tout ce que la nature offre à nos sens…Que ce soit le chant des oiseaux ou la couleur de la peau des félins, ou la majesté des forêts, ou l’étonnant ballet des fourmis, ou encore l’immensité incommensurable des montagnes…Mais, le spectacle reste magnifique tant qu’on ne le vit pas. La nature se donne à voir, pas à vivre. En effet, quoi de plus dangereux qu’un félin en chasse, ou d’être perdu au milieu d’un glacier ? Quoi de plus terrible que de se retrouver au milieu d’un ouragan ou au cœur d’un désert ?

La nature est belle, assis dans un fauteuil, à la contempler sur un écran de télévision. Et il ne vient à l’esprit de personne de sensé, d’échanger sa place de téléspectateur pour celle d’un habitant d’une tribu Africaine, ou d’une famille Lapone du nord de la Sibérie. Lorsqu’on évoque la nature, on évoque un idéalisme, mais non un rapport réel. Le rapport réel à la nature est un rapport violent. C’est la raison qui a poussé les humains à se regrouper et bâtir des cités. Et c’est la raison pour laquelle les habitants des cités aiment évoquer la beauté de la nature, confortablement installés dans un fauteuil.

Bien souvent, on oppose les rapports violents qu’entretiennent les hommes entre eux, et la nature, pour laquelle la violence est nécessaire à son épanouissement, considérant que la raison de la violence rencontrée dans la nature est justifiée, alors que la raison de la violence humaine est le produit de la folie. Et, bien sûr, ceux qui évoquent cette différence sont le plus souvent, ceux qui restent dans la contemplation, à regarder la violence sur un écran de télévision, au journal de vingt heure. Cependant, c’est un abus de langage, que d’attribuer à la nature une violence en tant que telle. La nature n’est que ce qu’elle est, et rien ne la détermine, qu’elle-même. La nature n’est violente qu’à nos yeux, en fonction de la sensibilité que l’on en éprouve, et qui est, elle-même, le résultat de notre propre existence, de notre propre culture. Le plus souvent, on évoque la violence comme quelque chose qui fait peur. C’est justement une des raisons qui nous fait préférer vivre au sein d’une civilisation plutôt que de rechercher à vivre au cœur de la jungle, malgré la violence supposée de la nature humaine.

En fait, le rapport de la nature à l’homme n’est pas tant dans la violence, que dans l’idée qu’il en est fait. Selon le cas, on verra dans la nature quelque chose de paisible et de beau, ou quelque chose de terrifiant et d’affreux. Quoi de plus affreux, en effet, que le spectacle des vers qui grouillent sur la matière fécale. Et pourtant, ça aussi fait parti du registre de la nature. Et le tigre, tellement beau qu’on en oublie qu’il est un prédateur pour l’homme. On en conclut que le tigre est un animal violent et dangereux. Pourtant, lui aussi est de la nature. Et on se refuse à voir dans la pacification des esprits qu’exige la soumission à l’ordre qu’une société impose comme critère d’existence, une grande violence qui n’a rien à envier à l’état sauvage. C’est que la pacification aveugle les esprits, assoupit la mémoire et ignore le raisonnement.

Ceux qui opposent la nature à l’homme, comme ceux qui voient dans l’homme un produit de la nature, évoquent une idée qui existe en dehors de l’homme, une idée qui appartient à un état naturel dont l’homme ne serait qu’un élément qui pourrait très bien disparaître. Mais, il faut bien des hommes pour évoquer cette idée. On ne saurait s’abstraire de soi-même. Certes, la nature, par elle-même, peut très bien exister en dehors de l’homme. Mais, dans ce cas, elle est ce quelque chose d’autre dont on ne peut rien préciser, et partant, pas plus définir. Cela ressemble, à s’y méprendre, à une dimension qui n’est pas relative à la place de l’homme dans l’univers, mais est seulement relative à elle-même, c’est-à-dire une dimension absolue. L’absolu est ce qui existe par lui-même et qui garde toutes ses valeurs quel que soit le système de référence dont on use pour en rendre compte. C’est quelque chose que l’on ne peut pas nommer, puisque sitôt nommé, ce système perd ses caractéristiques objectives. Etant nommé, il devient comparable. Tout ce qui est nommé, l’est dans un rapport d’attribution relativement à diverses grandeurs. Ainsi l’on nomme tigre ce qui correspond à un animal particulier, que l’on peut comparer à d’autres animaux, et à nous-mêmes, et que l’on peut entièrement étudier. La nature qui existe en dehors de l’homme, est celle que l’homme ne saurait nommer sans lui retirer aussitôt l’extériorité qu’on lui reconnaît, le mystère qui l’entoure, la transcendance qu’on lui attribue. Cette nature que l’on ne saurait pas plus préciser, c’est celle qui force l’imagination, l’admiration, la crainte et le respect, et qui évoque quelque chose que, pour les besoins de se faire comprendre, on appelle Dieu. Dieu, dans ce cas, n'est pas un être particulier doué des pouvoirs les plus grandioses et qui corrige les hommes selon les circonstances, mais l'idée que l'on se fait de ce qui ne peut pas se comparer; l 'idée de ce quelque chose qui dépasse la condition humaine ; l’idée de l’absolu. Lorsque l’on évoque une nature qui existe en totale indépendance d’avec l’homme, on évoque les mystères métaphysiques de la vie, ce quelque chose que l’on peut évoquer, mais qu’on ne peut pas mesurer. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître. Évoquer un absolu, c’est évoquer ce quelque chose que d’autres nomment "Dieu", ou Tao par exemple, ou tout ce qu’on veut et qui ne peut pas être nommé. On notera qu’en hébreux, dieu ne se nomme pas. Personnellement, je ne nomme pas l’absolu parce que je n’y crois pas. Je pense, en accord avec le principe de Protagoras (480-410 av. J-C.), que tout est mesurable. Et cette mesure, toujours en accord avec Protagoras, c’est l’homme qui la défini, ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas de fait objectif, mais qu’on ne peut déterminer un tel fait en dehors de l’homme. C’est pourquoi, je pense que l’homme est le centre de l’univers. Dire que l’homme est le centre de l’univers ne signifie pas qu’il est un point de mire, mais qu’il est central dans l’acceptation de la définition qu’en donne la théorie quantique, cette pensée qui est capable de mesurer l’indéterminé ; c’est-à-dire, quelque soit la place que l’on choisit dans l’univers, cette place est centrale, parce qu’il n’existe pas de bord, un peu à l’image du bateau dans l’océan, ou du point sur la surface du ballon. Le bateau est toujours au milieu de l’océan lorsqu’il est loin des côtes, parce que l’horizon fait un cercle autour du bateau en permanence, comme le point est toujours au milieu de la surface du ballon. Et la nature qui se trouve autour du bateau est inscrite dans son cercle. Elle n’est pas une force supérieure ou quelque chose qui existerait indépendamment du bateau. Elle est ce qui fait qu’un bateau existe. Évidemment, sinon, sans l’eau, un bateau n’aurait pas lieu d’être.

Dire que l’homme est le centre de l’univers ne signifie pas définir une sorte de supériorité à je ne sais quoi qui ne serait pas centré, parce qu’il n’existe rien qui ne soit pas centré. Tout est un centre parce qu’il n’y a pas de bord, exactement à l’image du ballon où le moindre point appliqué sur sa surface détermine un centre. Je remercie Richard Feynman, Roger Penrose et Stephen Hawking. C’est le résultat de leurs travaux. Voilà qui est encourageant. Ces gens ont démontré que l’homme est central dans l’univers parce que l’univers n’a pas de bord, et non parce que l’homme est prétentieux ou qu’il s’octroie un mérite quelconque. L’image du bateau au milieu de l’océan, et non celle du capitaine courageux, parce que la place de l’homme dans l’univers n’a rien à voir avec son courage ou la morale qu’il se donne, mais avec sa singularité de roseau pensant.

Il ne faut pas mêler la morale à l’étude de la place de l'homme dans l’univers, pas plus qu’il ne faut juger moralement de la place de l’individu dans la société. La morale n’a rien à voir avec cette affaire, sinon pour juger, amoindrir, ridiculiser. La morale est un ensemble de règles organisé sous forme de loi afin de restreindre, dans le but, il faut le dire, de soumettre, et non d’attribuer à l’homme une place qui lui reviendrait. Elle ne permet pas de comprendre, mais seulement d’imposer et de juger. On jugera de la petitesse ou de la grandeur, de l’humilité ou du mérite, de la modestie ou de l’exigence, de l’abnégation ou de l’orgueil, mais jamais par reconnaissance ni justesse, mais par autorité, c’est-à-dire du point de vue de la justice. La justice est ce qui juge les comportements, non ce qui débat de ce qui est vrai, même si accessoirement, il est fait appel à une relative vérité pour déterminer ce qu’il y a d’exact dans la chose à juger. C’est pourquoi la justice n’est pas du domaine de la pensée critique, mais de celui de la morale. Cependant, critiquer la morale ne signifie pas faire n’importe quoi, mais proposer un dialogue, ouvrir un débat dans le but de trouver des réponses qui vont dans le sens de la liberté, et non dans celui d’un enfermement. La liberté, ce n’est pas faire n’importe quoi, mais manifester une conscience, la conscience d’être capable de vivre pleinement sans amoindrir ni imposer. Un peu comme une équipe de foot réussit parce que chacun développe son potentiel de qualité dans son rapport à l’autre, et non contre l’autre ou sans l’autre. La morale ne détermine pas la justesse d’une émotion, mais impose un droit, que Montesquieu a défini avec « L’esprit des lois ».

Définir les choses avec l’émotion que ces choses suscitent, c’est le domaine de l’Art, et non celui de la connaissance. Ainsi, on attribuera à l’Art une reconnaissance par l’émotion qu’il soulève, et non par la justesse de ce qu’il représente. Depuis l’émergence de l’Art abstrait, qu’importe justement ce que l’art représente du point de vue figuratif. L’art abstrait fait appel à l’émotion pure. C’est évidemment là dedans qu’est contenu toute sa richesse, et non dans l’exposition de performances techniques. Cependant qu’il ne faut pas confondre l’émoi que suscite l’expression actuelle des gesticulations qui se font passer pour de l’art, avec la rigueur d’une œuvre toute empreinte de transcendance. On ne saurait confondre le génie de Malevitch avec les dessins de Botero, ni la grandeur de Beethoven avec les sons de la techno. L’Art ne fait pas appel à la beauté en tant que telle, mais à ce qui la transcende. D’ailleurs, on ne saurait définir ce qu’est la beauté autrement que par la nature des goûts dont chacun est pourvu en fonction de la culture qu’il a reçu. Rien n’est plus futile que le goût ; rien n’est plus malléable ; rien n’est plus périssable que ce qui tient du goût. Tandis que ce qui fait appel à l’émotion pure, il n’est rien de comparable qui ne s’inscrive durablement dans les esprits. La beauté tient trop de la mode pour être évoquée avec sérieux lorsqu’on veut parler de l’art. Ni la technique, ni la beauté en tant que telle, ne font une œuvre d’Art. L’Art, c’est ce qui fige l’esprit dans l’instant, comme un coup de foudre, et non l’appréciation de tel ou tel goût. Naturellement, la sensibilité de chacun interférera sur le choix de tel ou tel forme particulière d’Art. Préférer Bach à Beethoven ne signifie nullement que l’un est meilleur que l’autre, mais simplement que la sensibilité que l’on ressent pour l’un est plus forte que pour l’autre dans ce moment qui nous fait préférer ce choix, pour les motifs les plus divers qui n’ont pas nécessairement de rapport à l’art. Cela vaut aussi bien pour l’architecture que pour le mobilier, et toute œuvre faisant appel à la sensibilité.

Il est très difficile de cesser de parler avec les critères dominants de la morale du bien et du mal, hors d’un rapport qui juge du meilleur et du mauvais…comme s’il était impossible de concevoir les rapports humains autrement que dans des rapports de force, c’est-à-dire par comparaison d’un mieux au pire, ce qui oblige sans cesse à ramener l’homme à une dimension ridicule; comme s’il fallait absolument rabaisser l’homme à une petite place ; Comme s’il fallait en permanence relativiser les critères de grandeur sous prétexte que ces critères sont aussi évoqués par des gens que leur prétention ne saurait, pourtant, autoriser le respect. Comme s’il fallait nécessairement attribuer à l’homme une dimension si ridicule qu’elle ne retiendrait que l’attention des sots et des pédants. Comme si amoindrir l’homme préservait de l’orgueil et de la vanité, alors que précisément, en ne reconnaissant pas la place de l’homme dans l’univers, on se fourvoie dans des rapports de force où l'humilité devient le critère de grandeur qui protégerait de l’arrogance; et l’arrogance, l’échelle de valeur de celui qui confond l’humilité avec l’humiliation. De ce fait, le mépris et l’orgueil deviennent des critères raisonnables que beaucoup ne se privent pas d’appliquer. Pourtant, l’homme n’est pas plus un chêne qu’il n’est un roseau. Il est autre chose dont rend compte l’Art et la pensée critique, et dont rend compte la recherche scientifique lorsqu’elle n’est pas contaminée par le goût du pouvoir; L’homme est l’intelligence et la sensibilité réunies, malgré la grossièreté que l’on rencontre partout.

Dans ce monde où l’humilité se le dispute à l’orgueil, il faut rappeler que l’homme, c’est bien autre chose que ce que ces vulgaires critères dominants voudraient qu’il soit, et bien autre chose qu’un élément ridicule de la nature; il n’est pas un détail de la nature ; il est ce que procure la sensation pascalienne de l’infini : un vertige !

Marius Blouin 3 mars 2017


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